Platine, janvier 2000
Philippe d’Avilla,
Mercutio, ami de Roméo
Comment se passent les dernières semaines de répétitions ?
Bien, depuis un mois, on avance dans l’ordre chronologique du spectacle. Là, on est quasiment au bout de la mise en scène. Dans quelques jours, les filages vont commencer, les choses vont devenir un peu plus profondes.
Vous qui avez fait beaucoup de spectacles, celui-ci est plus lourd que vos précédentes expériences ?
C’est plus lourd au niveau du nombre des personnes engagées, sinon j’ai travaillé dans de grosses structures dans mon pays en Belgique : Emilie Jolie, Peter Pan… Je ne sais pas si les budgets étaient aussi importants, mais, par rapport à la taille du pays, c’était beaucoup. Que ce soit 500 millions, 100 millions ou 60 millions, ça se gère de la même façon au point de vue humain.
Votre production lance un nouveau single, « Vérone », alors que « Les rois du monde » sont toujours n°1. N’est-ce pas un peu tôt ?
On ne peut jamais planifier les choses quand on est face à un succès.
Vous avez une idée du nombre de semaines durant lesquelles « Les rois du monde » ont été à la première place ?
12 ou 13 semaines (14 semaines, le jour de l’interview), mais je ne suis pas vraiment car on est dans nos répétitions avec, comme seul but, celui de faire un beau spectacle.
Vous avez la moindre idée du nombre de singles vendus des « Rois du monde » ?
Pas la moindre idée. Je suis très heureux d’avoir reçu un disque de diamant, pour plus de 750 000 disques vendus. Cela m’a fait très plaisir mais je ne sais rien de plus.
Vous connaissez le budget de la production musicale ?
Non plus. D’autant plus que je calcule en francs belges… (Rires) Je donne le maximum sur scène, le reste est l’affaire des producteurs et ils font ça excessivement bien.
Quand vous avez enregistré « Les rois du monde », vous sentiez le tube ?
Cela a été enregistré il y a plus d’un an. Les chansons sont très belles, mais c’est vrai qu’on a senti tout de suite le potentiel des « Rois du monde », car c’est une chanson rythmée, de présentation des artistes. Après « Aimer », qui représentait Roméo et Juliette, celle-là dévoilait d’autres personnages et annonçait l’intrigue. Ce titre faisait partie des 5 ou 6 singles potentiels.
Quelle est votre chanson préférée du spectacle ?
C’est une chanson de Juliette qui s’appelle « Pourquoi ». Et qui sort à peine sur l’Intégrale.
Tous les titres qui s’y trouvent ont été enregistrés il y a plus d’un an ?
Non. Il y a plus d’un an, nous n’avions enregistré que les chansons qui sont sorties avant l’été dans l’album simple. Nous avons fait les autres il y a 2 mois de cela. En revanche dans cette intégrale, il n’y a ni les intermèdes, ni les dialogues…
Vous avez vu les autres comédies musicales françaises comme Starmania ou Notre-Dame de Paris dans lesquelles, il n’y a pas de dialogues parlés ?
J’ai tout vu. A la base, je suis un vrai fan de comédies musicales.
Quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ?
Le fantôme de l’opéra et Starlight express qui sont deux œuvres d’Andrew Lloyd Weber que j’ai vu aux Etats Unis et qui sont pour moi deux sommets. En France, j’ai adoré Starmania. Tout comme la moitié de la troupe de Roméo et Juliette, j’ai appris à chanter sur les titres de Berger et Plamondon…
Que pensez-vous du fait qu’en France pour remplir une salle de comédie musicale, il faut que des extraits passent en radio au préalable ?
Cela n’a pas été le cas pour Starmania qui, à l’origine, a marché avant que les chansons soient devenues des tubes. C’est vrai que, depuis Notre-Dame de Paris, les comédies musicales qui marchent sont celles qui ont des tubes radio. Tout ça parce qu’on n’a plus de culture de la comédie musicale en France. Cela n’est pas le cas en Angleterre ou aux USA où on n’a pas besoin d’entendre des chansons à la radio pour avoir envie d’aller voir une comédie musicale. En France, les 5 spectacles, diamétralement opposés, n’ont pas encore recrée cette culture… C’est pour cela qu’il faut encore pendant quelques années utiliser les radios et la promotion. Roméo et Juliette, c’est le monde du spectacle vivant et le show biz qui se retrouve le temps d’un album.
En Belgique, y a-t-il une culture de la comédie musicale ?
Non, même si du côté flamand, ils sont beaucoup plus proches des pays anglo-saxons. La preuve c’est qu’à Anvers, se joue tous les ans une comédie musicale différente d’Andrew Lloyd Weber qui reste à l’affiche pendant 6 mois. Ainsi on a vu Cats, Le fantôme de l’opéra. Moi, je suis né du côté francophone, mais comme je parle le néerlandais, et qu’Anvers est tout près de chez moi, j’ai pu aller les voir.
Vous vous sentez plus acteur, plus chanteur ou la question est superflue ?
La question est superflue. Ca fait 15 ans que je passe de l’un à l’autre.
Pensez-vous qu’on puisse devenir une star en faisant une carrière dans les comédies musicales ou faut-il en sortir pour y parvenir ?
Je n’ai pas envie de devenir une star, même si j’ai envie de faire une carrière solo. Une carrière peut se faire sans les médias. C’est vrai qu’on connaît plus « Memory » de Cats par Streisand que par la créatrice de la chanson sur scène.
Comment voyez-vous votre carrière solo ?
C’est dans ma tête depuis quelques années où j’écris des textes. J’ai des amis compositeurs autour de moi en Belgique, on essaie de trouver des choses, mais je ne me précipite pas.
Y’aura-t-il un lien entre la production de Roméo et Juliette, comme celle des Dix Commandements en a un avec quelques-uns de ses artistes ?
Il y aura peut-être un lien si l’album dont j’ai envie intéresse les producteurs de Roméo et Juliette. C’est une famille dans laquelle je me sens bien, alors, si on trouve un accord, mon album naîtra peut-être chez Baxter. Si ce que je fais ne correspond pas à Baxter, je le ferai ailleurs.
Vous leur en avez parlé ?
Non, ce n’est pas le sujet pour l’heure. J’espère que ça le sera dans quelques mois.
Quels sont vos artistes préférés en France et en Belgique ?
Non, je ne suis pas fan d’un artiste mais plutôt d’une chanson ou d’un travail. Par exemple, je suis fasciné par la carrière de Madonna, plus par sa façon de la gérer que par l’artiste. En Belgique, j’adore Mauranne que j’ai beaucoup vue sur scène et que j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois. Egalement de Jean-Louis Dolne, le frère de la chanteuse des Zap Mama, qui n’est pas connu ici mais qui en est à son 2ème album en solo. En France, j’aime cependant Zazie, je l’ai dit et redit partout. C’est la personne dont l’univers est la plus proche de moi. Définitivement.
Zazie, l’introvertie est pourtant l’opposée de Madonna, l’extravertie ?
Complètement, mais je suis un homme d’opposés.
Vous pouvez monter sur une table et danser toute une nuit et passer à méditer ?
Oui, c’est tout à fait moi. Pendant un an, j’ai joué pour 15 personnes par soir dans un petit cabaret intime accompagné par un piano et 3 mois après, j’étais dans un parc d’attractions pour faire Peter Pan. Je passe d’un extrême à l’autre et je pense que c’est ce qui fait la richesse de notre métier.
Dans votre famille, quels sont les déclics qui vont ont permis de passer les paliers ?
L’entrée au conservatoire d’art dramatique à 12 ans. Là, j’ai rencontré une pianiste-chanteuse qui m’a fait découvrir que je pouvais également chanter. Avant cela, je chantonnais dans ma salle de bain, mais jamais en public, même pas pendant les fêtes de famille. Je ne pensais pas que la chanson était combinable avec la comédie car, depuis l’âge de 9 ans, je voulais être acteur. Le 2ème virage a eu lieu quand j’avais 18 ans et qu’après des études secondaires de théâtre, je suis parti au Québec, suite au conseil d’un professeur. Là-bas, j’ai suivi pendant 3 ans un cursus sur le théâtre masqué, le théâtre sacré tibétain, la comédia dell’arte, le théâtre No japonais, le théâtre du mouvement, … Je revenais cependant régulièrement en Belgique. Quand je suis rentré, après Emilie Jolie, j’ai eu un 3ème déclic, il y a 4 ou 5 ans. Comme je ne m’étais pas trouvé une famille de théâtre en Belgique, j’ai décidé de me consacrer à la chanson. Vers 1996, j’ai donc commencé à chanter dans les cabarets de la chanson française, anglaise et de la comédie musicale des trucs d’Andrew Lloyd Weber, de Bernstein,…
Lors de ces années cabarets, aucun producteur n’est venu vous proposer de faire un disque ?
Jamais. Personne ne m’a jamais tendu la main. C’est moi qui ai toujours rué dans les brancards, foncé dans les portes… Je me souviens que pour le casting de Notre-Dame de Paris, après avoir écouté le disque, j’ai appelé la maison de disque pour pouvoir auditionner. J’ai fait le casting pour la 2ème équipe qui allait en tournée mais je n’ai pas été retenu. De là, j’ai bifurqué sur la version anglaise et j’ai fini dans les trois derniers, mais, là encore, je n’ai pas eu le rôle. Il n’y a vraiment que pour Roméo et Juliette qu’on m’a appelé mais c’était suite à des cassettes que j’avais envoyées partout et à des gens qui m’avaient entendu.
Jusqu’à quand avez-vous signé pour rester dans Roméo et Juliette ?
C’est très flou car nous n’avons pas vraiment signé de contrat. On a des contrats ouverts avec des options… et des dates de sortie qui correspondent à des séries. La première série se termine en mai, à la fin des trois mois de Palais des Congrès, des 100 représentations. La seconde série, se sera la tournée, mais je ne sais pas si je vais la faire. Si un jour je monte sur scène et que je commence à m’ennuyer, j’irai voir Gérard Louvin et je lui dirai : « Je m’en vais ».
Vous ne partirez pas d’épuisement, comme Hélène Ségara dont la voix a beaucoup souffert lors des mois de Notre-Dame ?
Non, je suis habitué aux 7 fois par semaine.
Vous chantez combien de chansons dans le spectacle ?
Six (« Les rois du monde », « La folie », « Les beaux les laids », « On dit dans la rue », « Mort de Mercutio ») plus les chorus, les interventions parlées…
Quelle est celle que vous préférez ?
Sans hésiter « La mort de Mercutio ». Juste derrière, c’est « La folie ». Ces 2 titres n’étaient pas dans le premier album, le public les découvre maintenant dans l’intégrale.
Vous n’avez pas d’accent belge, comment faites-vous ?
Quand on est belge, de surcroît de Charleroi, où il y a un dialecte, lorsqu’on fait le conservatoire, le principe de base est de gommer tout accent sauf quand on joue le répertoire belge. C’est pareil au Québec.
Avez-vous le temps pour votre vie privée ?
Depuis que les répétitions ont commencé, pas vraiment, mais quand on entre en répétition, c’est comme quand on entre au couvent. Ca ira mieux dans quelques semaines. Je pourrai recommencer à ne rien faire, à redevenir Monsieur tout le monde, à aller au supermarché, c’est mon loisir favori avec les voyages ; j’adore partir au bout du monde sur un coup de tête…
Vous n’êtes pas très famille ?
Je vais voir mes parents régulièrement, mais ça fait longtemps que j’ai quitté leur foyer. Je suis proche d’eux dans la tête. Quand j’étais à Bruxelles, j’étais à 100 Km, aujourd’hui je suis à 350 Km, je n’ai pas besoin de leur présence physique. Je suis un vadrouilleur, un baroudeur…
Comment cela se passe avec le metteur en scène, Redha, puisque Ionesco n’est plus là…
Très bien car Redha est talentueux. Un chorégraphe est un metteur en scène du corps… De toute façon, on avait à peine commencé avec Ionesco. C’est d’un commun accord que Ionesco a arrêté de faire la mise en scène. Gérard et lui n’avaient pas les mêmes idées. Roméo et Juliette, c’est avant tout l’œuvre de Gérard Presgurvic, et la vision de Redha est plus en accord avec celle du compositeur. Il n’y a pas eu de crise, contrairement à ce qu’on a pu entendre ici et là. Ionesco travaille toujours avec nous, sur les décors, la scénographie…
Ionesco, qui vient du monde de l’opéra, était-il vraiment compatible avec les gens de la variété ?
Bien sûr que c’est compatible ! Un homme de spectacle est un homme de spectacle qu’il fasse de la variété ou de l’avant-garde ou même de l’underground !
Mais le public de l’Opéra n’est pas celui des comédies musicales ?
Bien sûr que non. C’est un truc typique à la France qui, franchement, si je veux être vulgaire, me gonfle ! Ce principe de la case m’énerve. Pourquoi les gens de l’opéra et de la variété, du cinéma grand public ou du cinéma d’auteur ne se mélangeraient pas ? Surtout que le public n’est pas comme ça ! Et beaucoup de gens de ce métier ne sont pas non plus comme cela ! Il y a une dictature de quelques intellos dans les médias ou ailleurs.